La beauté du quotidien, l’importance des petites choses
La beauté est partout. Elle nous surprend parfois au détour d'un chemin et se révèle même dans les histoires les plus tristes. Cependant, pour l'apercevoir, il est nécessaire de maintenir son regard attentif…
Il y a des fleurs partout, pour ceux qui veulent les voir, nous rappelle cette citation d'Henri Matisse. Néanmoins, certaines journées, focaliser son attention sur les aspects positifs se révèle comme une mission ardue. En tant que jeune mère, cela me paraît irréalisable lorsque mes nuits sont fragmentées et que la privation de sommeil envahit mon esprit. Je ne perçois alors plus les fleurs, mais uniquement une brume opaque. En quête d'orientation ou de soutien, j'ai découvert un entretien avec la psychologue Valérie de Minvielle, qui m'a éclairée sur un point fondamental : nos nécessités profondes ne se limitent pas aux besoins vitaux comme l'alimentation ou le repos. Chaque individu possède au moins un autre besoin qui, sans être vital, demeure fondamental pour son existence. Il incombe toutefois à chacun d'identifier ces besoins personnels.
Ce n'est que dans le contexte de ma fatigue chronique que j'ai pris conscience de l'importance capitale de la beauté dans ma vie et l'influence considérable de l’environnement et de l’espace sur mon équilibre intérieur. Une lumière de dentiste inconfortable dans le salon, une bouteille d'eau en plastique inesthétique sur la table du dîner ou une promenade dans un quartier gris et délabré contribuent à l’état de ma mauvaise humeur.
À l'inverse, je peux ressentir une joie immense en découvrant le ton éraillé d'une voix dans une chanson ou l'élégance du tissu d'un foulard en soie. Je suis sensible à l’assiette dans laquelle je déguste ma tartine du matin ou à la tasse qui contient mon café. Lorsque mon moral décline, je m'efforce de porter un vêtement élégant…
Il n'existe pas une définition de la beauté. Mais je sais qu'elle se trouve partout, même dans les petits riens qui sont si souvent engloutis par les vagues du quotidien. Tous les jours, j’essaie de lui apporter plus d’attention et je souhaite la partager avec ceux et celles qui m’entourent, car je crois que la beauté aussi subjective soit-elle, nous permet de créer un refuge et un lien dans ce monde démonté. Et aussi parce que la vie est trop courte pour passer à côté de sa beauté !
Qu'est-ce qui rend la beauté si particulière ? Il ne s'agit pas de trouver quelque chose de « joli ». La beauté n'est pas à confondre avec l'agréable, c'est « une profonde admiration, quelque chose qui nous marque et suscite des émotions », selon la philosophe, podcasteuse et autrice Marie Robert. Dans son livre Le miracle du réconfort, elle cite Platon et Saint Augustin, qui ont tenté de définir la beauté (Platon définissait la beauté comme « tout ce qui est harmonieux »). Robert souligne toutefois qu'avec notre conception actuelle de la beauté, « nous n'avons pas de liste de critères, nous exprimons notre joie face à la beauté sans vraiment y réfléchir ». « Une émotion esthétique », selon elle, « ne ressemble à aucune autre. Elle nous submerge. Elle est surprenante. » On a même tenté de prouver scientifiquement cette conception. Peter Tepe confirme dans ses recherches sur «La beauté au quotidien». À propos de la théorie des expériences esthétiques*, qu'« un objet peut être perçu comme beau sans que l'on connaisse sa fonction ». N'est-ce pas incroyablement libérateur, alors que nous devons toujours tout expliquer et tout nommer ?
La beauté que nous percevons devient accessible à notre compréhension, sans que cette compréhension soit une obligation. Nous n'avons pas non plus besoin de peser le pour et le contre. Pourquoi la beauté fait-elle tant de bien ? Parce que c'est une expérience que nous vivons avec tous nos sens : nous voyons, entendons ou sentons quelque chose, puis nous le ressentons avant même de vouloir le dire à voix haute : « C'est beau ! ».
La beauté demande un temps d’arrêt pour être appréciée. Il y a des moments dans notre quotidien où nous devons nous contraindre à la contempler. Elle nous invite chaque jour à marquer une halte dans nos routines. Et le plus merveilleux ? On n'a pas besoin de mériter cette pause ni de la justifier. Personne ne nous reprochera de flâner en ville et de nous arrêter devant une magnifique église pour l'admirer, ou de rester assis plus longtemps sur la promenade de la plage quand le soleil se couche et teinte le ciel d’un rose pâle.
Que le sens du beau – c'est-à-dire la facilité à la reconnaître – soit inné ou acquis n'a peut-être pas beaucoup d'importance. Ce qui est beaucoup plus important, c'est de le partager et de le transmettre. Un après-midi, lorsque ma fille a couru instinctivement vers le placard où est rangée ma petite collection de vaisselle ancienne en porcelaine pour y poser le morceau de gâteau que sa grand-mère avait apporté, j'ai réalisé que la puissance de la beauté réside précisément dans tous ces petits gestes et décisions de notre quotidien. Depuis, j'essaie plus consciemment de les intégrer dans notre semaine (et nous n'attendons plus la visite de grand-mère pour sortir la belle vaisselle).
Pour voir la beauté, peut-être faudrait-il regarder le monde avec des yeux d'enfant ? Un matin, ma fille m'a chuchoté dans l’oreille : « Tu sais ce qu'il y a de meilleur dans une tartine grillée au petit-déjeuner ? Quand le beurre fond dessus !
C'est précisément dans ces choses délicatement simples que réside pour moi toute la beauté du monde. Nous n'avons pas besoin de la chercher, il suffit d'essayer de changer de perspective. Lors d'une journée turbulente, essayons de fermer les yeux un instant devant tout ce qui est négatif. Nous remarquons alors soudainement la beauté de la lumière qui pénètre la pièce, la légèreté avec laquelle la pluie tombe sur les fenêtres de toit, le vent qui souffle dans les arbres, l'odeur de la boulangerie au coin de la rue, les larmes versées devant un film émouvant ou la coupe parfaite du pull douillet que l'on a enfilé la matin...
Il me tient à cœur d'attirer l'attention sur ces petites choses et de les partager. Ne serait-ce qu'avec une tartine beurrée…
*Marie Robert: Le miracle du réconfort , Flammarion, 2024.
*Peter Tepe: Schönheit im Alltag. Zur Theorie der ästhetischen Erfahrung. In: Mythos-Magazin (Sep. 2019), online unter http://www.mythos-magazin.de/erklaerendehermeneutik/pt_schoen heit.pdf (Stand 27.03.2015)